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Et si l’alimentation devenait un « bien commun » ?


Dans une tribune publiée sur le site de l’Académie de l’agriculture, 16 de ses membres font part de leur conviction : pour assurer la sécurité alimentaire de demain, il faut re-territorialiser les systèmes alimentaires.

Dans une étude prospective, Agri 2050, remise début mars, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, qui réalise des missions d’audit, d’inspection, de conseil, d’évaluation et d’expertise pour le ministère de l’Agriculture, s’interrogeait sur le modèle agricole français à lhorizon 2035, puis 2050. Parmi les 4 scénarios élaborés pour répondre à l’avenir de l’agriculture française, il y est notamment question des Systèmes alimentaires territorialisés (SAT). Soit un système qui vise la relocalisation de l’alimentation à l’échelle d’un territoire en prenant en compte les enjeux de son développement durable, tout en s’inscrivant dans une démarche agro-écologique. 

C’est à partir de cette même hypothèse que fondent leur appel les 16 membres de l’Académie de l’agriculture signataires* d’un texte intitulé Pandémie du coronavirus et autonomie alimentaire : actualité et nécessité d’une re-territorialisation des systèmes alimentaires

Les impasses des chaînes de valeur globale

Face à l’épidémie actuelle de coronavirus, et aux crises successives, les académiciens estiment que simplement « repenser le modèle des systèmes alimentaires actuels ne saurait suffire ». Pour eux, « l’ampleur croissante des menaces qui pèsent sur les systèmes alimentaires à tous les niveaux géographiques conduit à douter de la résilience économique et sanitaire des chaînes globales de valeur agro-industrielles à ces chocs et de leur capacité à atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies à l’horizon 2030. La grande volatilité des marchés mondialisés des matières premières agricoles lors des crises de 1974, 1986, 1996 et 2008 rappelle un problème récurrent dans un contexte de décisions des opérateurs piloté par un petit nombre de bourses « spot » (Chicago, Londres). Ces marchés, à terme, réagissent à des prévisions spéculatives amplifiant les variations de prix dues à l’inélasticité de la demande par rapport à l’offre des produits alimentaires ».

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Ils poursuivent en ajoutant que l’impact sur les élevages des différentes épizooties « de 1996 et 2000 (encéphalopathie bovine), de 2004 (grippe aviaire H5N1), de 2014-2020 (peste porcine africaine) » rend « le mode de production agro-industriel fortement exposé aux risques sanitaires et économiques ». D’autant que dans le contexte de la pandémie COVID-19, la malnutrition est un facteur aggravant des pathologies respiratoires. De même que la malnutrition contribue largement, comme l’a déjà signifié à plusieurs reprises l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à la progression des maladies chroniques d’origine alimentaire, au Nord comme au Sud. 

Par ailleurs, une hypothèse étayée par le Pr Walter Willett de l’université Harvard, médecin-nutritionniste et président de la commission The EAT-Lancet, réunissant des scientifiques de 37 pays, qui stipule dans un rapport en 2019, sur lequel s’appuie les académiciens : « La nourriture que nous mangeons et comment nous la produisons détermineront la santé de la population et de la planète. De profonds changements doivent être faits pour éviter une réduction de l’espérance de vie et une poursuite de la dégradation de l’environnement ».

Les SAT pour garantir la sécurité alimentaire

À partir de cette démonstration des lacunes du système en vigueur construit sur le « modèle des chaînes globales de valeur », les académiciens amorcent la défense d’un « scénario alternatif ». Qualifié de « système alimentaire territorialisé (SAT), il implique des évolutions du comportement des consommateurs [vers une alimentation variée et équilibrée, réduisant l’apport des protéines animales au profit des protéines végétales] et du modèle de production [moindre intensification, diversification par l’agro-écologie, généralisation de l’écoconception aux niveaux industriel et logistique] ».

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Dans une stratégie de sécurité alimentaire et nutritionnelle, le scénario SAT, expliquent les académiciens, est mis en œuvre selon 3 principes interdépendants : l’autonomie, la proximité et la solidarité.

  • Autonomie : il s’agit d’atteindre un « objectif d’accroissement de l’autosuffisance pour les denrées de base et de souveraineté alimentaire ».
  • Proximité : elle se fonde sur une triple action : « entre productions agricoles végétales, animales et la forêt dans le cadre d’un écosystème local, la diversification des espèces cultivées et élevées contribuant à la résilience de l’agro-écosystème et à la réduction des intrants ; entre matières premières et transformation agroalimentaire par la formation de réseaux contractuels, favorables au partage de la valeur et à l’innovation ; entre producteurs et consommateurs par des circuits courts de commercialisation ».
  • Solidarité : elle se « traduit par des statuts d’entreprise intégrant la responsabilité sociale et environnementale, des formes coopératives d’organisation des filières et une mutualisation des ressources. Les SAT sont concevables à l’échelle des États, régions et provinces de la plupart des pays du monde avec une gouvernance territoriale et un maillage national et macro-régional (Verticale Afrique-Méditerranée-Europe pour les pays de l’Union européenne) ».

La reconquête du marché intérieur

Pour les académiciens, ce scénario n’est possible que si « des politiques volontaristes considérant l’alimentation comme un « bien commun » » interviennent dans la régulation. Les diètes alimentaires patrimoniales (par exemple, la diète méditerranéenne) pourraient constituer le socle de la construction des systèmes alimentaires territorialisés. Considérés « comme plus résilients aux crises économiques, sociales, sanitaires et environnementales que les « chaînes globales de valeur » agro-industrielles », ces systèmes permettraient « la reconquête du marché intérieur, mais aussi […] l’exportation sur un marché international très porteur pour les produits de terroir ». En s’appuyant sur ces marchés, les académiciens ont la conviction que ces derniers favoriseraient une consommation « orientée vers une plus grande qualité nutritionnelle, sensorielle et sociale des aliments, et la recherche de traçabilité ». De même, qu’ils « devraient contribuer à réduire les fractures territoriales en revitalisant les espaces ruraux ».

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L’intégralité du texte sur le site de l’Académie de l’agriculture.

* Signataires : Omar BESSAOUD, Michel CANDAU, Guillaume DHERISSART, Christian FERAULT, Bernard HUBERT, Marie-Hélène JEUFFROY, Pierre-Benoît JOLY, Jean-Marc MEYNARD, François PAPY, Geneviève PARENT, Roland PEREZ, André PFIMLIN, Jean-Louis RASTOIN, Anne ROLLET, Henri ROUILLE d’ORFEUIL et André TORRE (membres de l’Académie d’agriculture de France).

© Warren Wong – Unsplash

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