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Cette micro-algue qui se cache derrière les eaux colorées vertes de Bretagne Sud

Par Pauline Roux, Ifremer et Mathilde Schapira, Ifremer

Depuis une première observation en 1982, on repère presque chaque année des eaux colorées vertes qui s’étendent du Finistère Sud aux côtes Vendéennes.

Sous l’influence de la Loire et de la Vilaine, cette zone est en effet la plus vulnérable du littoral Atlantique au phénomène dit « d’eutrophisation ». Ce terme désigne l’un des problèmes majeurs affectant les zones aquatiques, continentales et côtières. On peut le décrire comme une réponse des écosystèmes à des apports externes de nutriments issus de rejets directs d’effluents domestiques (comme les eaux usées), agricoles (comme les engrais azotés et phosphorés) et industriels.

Cette réaction des écosystèmes peut se traduire par l’augmentation de la biomasse phytoplanctonique ainsi que par l’intensification et la multiplication des efflorescences d’espèces phytoplanctoniques, toxiques ou nuisibles. Ces épisodes se produisent généralement au cours du printemps et de l’été, lorsque l’ensoleillement et la température de l’eau atteignent des niveaux favorables à la prolifération de ces organismes photosynthétiques.

Coloration verte et mortalités d’organismes marins

Les eaux vertes observées en Bretagne Sud sont plus précisément la conséquence de la prolifération d’une micro-algue, le Lepidodinium chlorophorum. Il mesure environ 20 µm et présente une forte coloration verte, observable en microscopie optique.

Cellules de L. chlorophorum observées au microscope optique.
Anne Schmitt-Gallotti/Ifremer, CC BY-NC-ND

Bien que L. chlorophorum ne produise pas de toxines, il peut être considéré comme une espèce nuisible. En effet, dès les années 1990, les eaux colorées vertes à L. chlorophorum ont été associées à des mortalités de poissons et de bivalves le long du littoral Atlantique.

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Des mortalités d’organismes marins – moules, huîtres, certains mollusques, crevettes, crabes et petits crustacés – ont ainsi été enregistrées au cours de l’été 1988 près des Sables-d’Olonne. En 2012, des mortalités de moules de plus de 40 % ont été identifiées.

Les observations réalisées par l’Ifremer à cette période ont montré la présence d’un mucus de couleur verte sur les coquillages, sans pour autant faire directement le lien de cause à effet entre ces mortalités et les efflorescences de L. chlorophorum.

En 2018, des pertes importantes d’huîtres et de moules ont été rapportées sur les zones de production du Morbihan et de Loire-Atlantique suite aux eaux colorées vertes.

Moules de bouchots de la baie de Pont Mahé, en juillet 2012.
Michael Retho/Ifremer, CC BY-NC-ND

Malgré les potentielles conséquences de la multiplication de ces eaux colorées vertes à L. chlorophorum, nos connaissances relatives à la dynamique des efflorescences ainsi qu’aux facteurs environnementaux les conditionnant restent encore limitées. Très peu d’études ont été menées sur l’écologie de cette espèce et peu d’observations ont été recensées à travers le monde.

Beaucoup d’aspects encore méconnus

Une étude menée en laboratoire sur cette espèce a montré que L. chlorophorum pouvait produire de grandes quantités de substances à l’aspect visqueux, aussi appelées particules exo-polymériques transparentes.

Ces particules jouent un rôle majeur au sein des écosystèmes : riches en matière organique, elles forment de parfaits microenvironnements, propices au développement bactérien. Elles ont également tendance, en accélérant la sédimentation de la matière organique vers les fonds marins, à affecter les processus de recyclage de cette matière organique par les bactéries, et ainsi à diminuer les concentrations en oxygène à proximité du fond. Ces particules transparentes sont également susceptibles d’augmenter la viscosité de l’eau de mer.

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Au vu de leurs multiples effets sur les écosystèmes, il est essentiel de pouvoir quantifier les concentrations de ces particules transparentes dans l’océan.

Des eaux peut-être un peu trop visqueuses

On l’a vu, des mortalités importantes d’organismes marins ont suivi certaines efflorescences de L. chlorophorum, aussi suspecté d’être à l’origine de l’arrêt de croissance chez l’huître creuse Crassostrea gigas.

Ces mortalités pourraient être en lien, comme évoqué plus haut, avec la production importante de particules exo-polymériques transparentes ; cela de deux manières : en diminuant les concentrations en oxygène à proximité du fond suite à la dégradation de la matière organique produite au cours de l’efflorescence ; en augmentant la viscosité de l’eau ce qui pourrait avoir un effet négatif sur le comportement de filtration et la croissance des bivalves. On pense notamment au colmatage des branchies qui pourrait altérer la respiration et l’assimilation de la nourriture chez ces organismes.

À ce jour, aucune étude ne s’est intéressée aux facteurs environnementaux favorisant le développement de L. chlorophorum. Et aucune étude n’a estimé les quantités de particules exo-polymériques transparentes produites lors d’une eau colorée verte en milieu naturel.

De la même manière, nous ne connaissons ni la composition de ces particules ni leur capacité à modifier significativement la viscosité de l’eau de mer. Une meilleure connaissance de ces particules exo-polymériques est le premier pas vers une compréhension plus fine des mécanismes à l’origine des mortalités observées suite aux eaux colorées vertes. Le projet de recherche Lepido-Pen que nous conduisons tente d’apporter de premiers éléments de réponse.

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Un appel aux usagers du littoral

Ces phénomènes d’eaux colorées ne s’annoncent pas, ils sont parfois très fugaces et localisés. Pour soutenir la recherche, un projet de science participative – Phenomer – propose aux usagers du littoral de signaler leurs observations d’eaux colorées.

Un formulaire de signalement est accessible sur le site web Phenomer et une application mobile est également téléchargeable. Avec l’aide de tout à chacun, les scientifiques pourront sans doute mieux cerner l’ampleur de ce phénomène et ses possibles causes.The Conversation

Pauline Roux, Doctorante en écologie du phytoplancton, Ifremer et Mathilde Schapira, Chercheur Ifremer, Ifremer

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

© Mathilde Schapira/Ifremer, CC BY-NC-ND

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