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Société

#JourdAprès, la tribune de Joffrey Chalaphy : Redéfinir la place du thermalisme dans le système de santé

Par Joffrey Chalaphy,
Directeur des Grands Thermes de La Bourboule



Tout d’abord, je voudrais souligner ici la grande qualité du travail effectué par le CNETh et l’aide précieuse qu’il nous apporte dans la gestion de crise au quotidien. J’ai toute confiance en notre profession pour gérer l’urgence et les réponses aux nombreuses questions que nous nous posons tous en tant qu’exploitants.

Je souhaite également souligner qu’en tant que directeur d’établissement j’approuve pleinement les mesures prises par le gouvernement concernant le volet d’accompagnement économique des entreprises. J’estime aussi qu’il y a eu un certain courage politique qui, pour la première fois dans l’histoire des grandes pandémies, a privilégié la vie humaine plutôt que l’intérêt économique de la nation. En sera-t-il de même au fil du temps ? Cela est un autre débat, que nos démocraties sauront arbitrer.

Que l’on soit bien clair, mon billet ne s’inscrit pas dans la critique et n’est porteur d’aucune arrière-pensée. Il est simplement le fruit d’une réflexion, à chaud, sur la situation engendrée par la grave crise sanitaire que connaît notre pays et plus largement l’humanité tout entière et son impact sur nos établissements thermaux. N’y voyez aucun corporatisme, aucune défense aveugle de notre secteur d’activité, juste une contribution au débat de notre devenir quand viendra le jour d’après.

Avec un peu d’optimisme et une certaine prise de recul, je pense que nous devrons, lorsque le temps sera venu, engager une grande réflexion sur la place du thermalisme dans notre système de santé. L’organisation d’Assises nationales du thermalisme français serait un signal fort pour contribuer au grand débat qui interviendra nécessairement sur notre modèle de santé publique.

Contexte

Après l’âge d’or de la fin du XIXe siècle et début XXIe, après le thermalisme social du lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après une période de recherche médicale intense sur cette médecine dite « médecine thermale » s’est ensuivie une longue descente accélérée par les progrès des techniques médicales, des traitements allopathiques, la quasi-révolution des méthodes de recherche médicale et l’omniprésence de la force économique des laboratoires. Depuis la fin des années 2000, grâce à une prise de conscience collective, grâce au développement d’outils tels que le CNETh ou l’AFRETh, le thermalisme français a pu faire preuve de sérieux, d’efficacité et de responsabilité, repoussant à chaque fois l’épée de Damoclès du déremboursement. Depuis 12 ans, le thermalisme est redevenu un secteur attractif à forte croissance, aiguisant ainsi les appétits. Paradoxalement, la crise sanitaire que nous traversons devrait nous permettre d’appuyer sur pause un instant et de nous reposer les bonnes questions si nous ne voulons pas être des victimes collatérales du coronavirus.

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Quelques pistes

Nous devons saisir l’opportunité du grand débat qui s’ouvrira le jour d’après sur notre politique de santé. La situation actuelle met au jour l’une des faiblesses de notre politique de santé, à savoir la santé environnementale et la lutte contre les maladies chroniques, dont la genèse se trouve dans nos modes de vie (sédentarité, mauvaise alimentation, pollution, perturbateurs endocriniens…). Car au-delà des soins, la prévention doit devenir un axe fort de nos dépenses de santé. C’est dans ce nouveau paradigme que la médecine thermale peut et doit jouer tout son rôle. C’est pourquoi je soumets l’idée que soit lancée, lors des Journées nationales du thermalisme à Amnéville, en novembre prochain, l’ouverture d’Assises nationales du thermalisme français. Assises qui pourraient se dérouler sur trois ou quatre rencontres (dont une à La Bourboule, bien évidemment !) et se clôturer lors des Journées européennes du thermalisme, qui se tiendront à Vichy, en 2021. Nous pourrions ainsi mettre en perspective l’état de nos ambitions avec les différentes approches européennes en la matière. Pour moi, cette opportunité devrait pouvoir apporter des réponses et des propositions concrètes à ces premières questions, qui en appellent bien d’autres :

  • Le thermalisme, une médecine à part entière ? La réponse à cette question est primordiale, car elle doit requestionner son enseignement et sa place dans le cursus médical universitaire. La crise du COVID met en avant la fragilité des humains face à l’explosion des maladies chroniques générées par notre société de surconsommation, par ce que l’on inflige au corps avec une surexposition au stress et par des modes de vie où la perte de sens nous dérégule psychiquement. Face à ces maux, la seule médecine curative limite l’éventail des possibilités. L’avènement d’une médecine préventive dans notre parcours de soins est peut-être la clé du développement d’une meilleure immunité. La médecine thermale peut devenir l’acteur de cette nouvelle approche du parcours de soins avec un coût extrêmement faible pour la société.
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Une telle approche requestionne donc l’enseignement de cette médecine et sa place dans un nouveau système de soins où les moyens dédiés à l’approche de l’humain devraient être équivalents aux moyens consacrés à l’approche technologique.

Cette première question en engendre une deuxième, qui lui est intimement liée, celle de la recherche thermale.

  • La recherche thermale doit-elle faire partie intégrante du cursus de recherche universitaire et entrer, de fait, dans le cadre de la recherche publique ? Face à la chute de la recherche thermale au sein des universités de médecine, la profession a créé son propre outil. Il a été fort utile, car il a permis de démontrer le fameux SMR (Service médical rendu) et de sauver ainsi la spécificité du thermalisme français dit « médicalisé ». Mais peut-on dire que ce mode de fonctionnement a atteint ses propres limites aujourd’hui ? Par ce biais, nous sommes un financeur privé de plus des laboratoires de recherche ou des équipes des CHU. Nos établissements peuvent-ils, et doivent-ils, redevenir des supports à la recherche universitaire publique dans le cadre d’une nouvelle politique de santé ?

 

  • Comment relancer la recherche d’innovation en matière de poste de soins ? L’évolution des techniques de soins est peu dynamique, la mise au point de nouveaux postes de soins et la recherche de l’efficience des soins administrés sont autant de défis auxquels le thermalisme de demain devra répondre. Dans ces conditions, quelles pourraient être les opportunités de création d’une filière de recherche appliquée thermale pouvant déboucher sur le brevetage ? Ces questions méritent d’être posées au risque de perdre toute légitimité dans la qualité des soins proposés susceptibles de répondre à ce nouveau défi de la prévention santé et de son évaluation.

 

  • Le soin thermal a-t-il assez d’atouts, de ressources et de professionnalisme pour intégrer la chaîne de la prise en charge des maladies en devenant partie intégrante des soins de suite (postopératoire, post guérison…) ? Le cadre de la cure (trois semaines en établissement) apparaît comme un atout unique pour accompagner les patients dans leur vie d’après. L’intervention de nombreux professionnels de santé ou de professionnels d’autres disciplines (psychologue, sophrologue, éducateur sportif, art-thérapeute, professeur de yoga, diététicien…) sur un long séjour permet déjà d’élaborer de vrais programmes de remise en forme globaux. C’est ce que l’on appelle la « santé intégrative ». Les établissements thermaux ne pourraient-ils pas devenir de véritables centres répondant bien évidemment à une charte avec des critères qui pourraient être élaborés de façon collaborative avec le ministère de la Santé, des Sports, des associations de patients…
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  • L’intelligence artificielle peut-elle révolutionner l’approche de l’éducation thérapeutique, outil indispensable à l’accompagnement des patients au sein des établissements thermaux ? Une technologie de pointe au service du soin par l’eau ? Cela peut paraître surprenant et, pourtant, cela ouvre un champ des possibles dans notre capacité à innover pour mieux soigner, pour développer un panel de solutions à destination de nos patients. Ce peut être une formidable occasion de prolonger le soin après la cure et d’offrir la possibilité de progresser dans la gestion de la maladie. La cure peut-elle devenir connectée ?

 

  • L’ensemble de ce repositionnement peut-il conditionner un nouveau cadre du modèle économique thermal ? Dans ces conditions, comment inventer un partenariat public/privé pour la recherche en matière de médecine thermale, mais également pour la recherche appliquée à l’évolution des postes de soins ? À quelles sources de profits autres que le seul hébergement les établissements thermaux pourraient-ils être adossés ? Serait-il nécessaire de redéfinir un régime fiscal spécifique, par exemple ? Un nouveau type de convention avec la Cnam ?

 

  • Cette nécessaire introspection devra-t-elle nous conduire à redéfinir les contours de nos outils de gouvernance ? Face aux mutations actuelles du secteur et aux défis posés par une nouvelle approche de la politique de santé recentrée sur l’humain et la prévention au niveau national, les acteurs du thermalisme sont-ils en capacité de continuer à jouer collectif ?

Voilà une petite esquisse d’une réflexion introspective que nous pourrions conduire collectivement pour dégager un horizon qui pourrait inscrire, à nouveau, le thermalisme dans une offre globale de santé. Contribuer collectivement au futur débat sur la politique de santé avec une approche non corporatiste, mais bel et bien innovante dans ce que pourrait être la nouvelle place de la médecine thermale dans ce nouveau paradigme de santé à construire, serait, de mon point de vue, la meilleure réponse que l’on pourrait apporter aux défis posés par la crise sanitaire que nous traversons.

Prenez soin de vous et bonne méditation.

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